(Translated from English, original here / Traduit de l’Anglais, original ici : Narrative Materialism).
Depuis que je suis tombé accidentellement sur « Matérialisme Narratif » en essayant de trouver un nom pour cet endroit, j’essaye de trouver plus précisément ce que ça veut dire.
Il y a beaucoup de sens derrière ce concept, différentes interprétations qui semblent toutes converger en un quelque-chose qui me semble juste et agréable.
J’ai toujours aimé les récits et les jeux, les narrations interactives, et la relation complexe et fertile entre le récit/conte, le conteur et les moyens de narration : le contexte, l’endroit, le comment, pourquoi et quand.
Les récits sont absolument essentiels aux Peuples et à leurs vies, ils ne sont pas simplement un objet externe ou un simple moyen de transporter l’information.
Les récits sont simultanément comment nous comprenons le monde, comment nous expliquons le monde, comment cette compréhension devient réalité, et comment nous jouons avec (et changeons) notre réalité.
Les récits ne sont pas juste une représentative fictive ou incomplète du réel : pour nous, ils sont bels et bien réels, ils sont « rendu » réels, ils sont réellement sentis et vécus, et ils sont un moyen de façonner notre propre relation avec le monde. Cette « relation » entre nous et le monde joue dans les deux sens.
Mon Matérialisme Narratif est à la fois une approche et un souhait, une volonté d’écrire les choses d’une certaine façon, et de réfléchir aux récits d’une certaine façon.
Le sens principal (qui nous amena à ce titre en premier lieu)1 est une référence au Matérialisme Dialectique et au Matérialisme Historique.
Note: ici étais écrit quelques paragraphes résumant le Matérialisme Dialectique et le Matérialisme Historique, mais j'ai depuis approfondi ma compréhension de ces concepts et je n'étais plus satisfait de ce résumé simple. Je vous encourage à étudier ces deux sujets spécifiques. J'écrirais plus tard quelque-chose qui me satisfait et j'y ajouterais le lien ici.
Dans l’écriture et dans le jeu de rôle, le Matérialisme Historique peut être une méthode de construction du monde (« world-building »), pour enrichir l’Histoire de ce monde, les courants communs et les méta-scénarios, et le Matérialisme Dialectique peut être une méthode de meilleure écriture des personnages, factions et récits en ce concentrant sur leurs contradictions, inter-connectivité et changement constant. Chacun alimente l’autre.
Le deuxième sens de Matérialisme Narratif est d’appliquer cette même approche aux auteures et au contexte qui se cache derrière les récits.
Certains ont cette étrange idée que l’écriture peut être enlevée de son environnement sans changer, ou qu’elle peut dire des choses sans que celles-ci se relatent fortement au monde matériel, que les récits peuvent être détachés de la réalité. Comme on dit, tout ce qui est écrit est “politique”. Toute auteure est une part complexe de son contexte interconnecté et changeant, et tout ce qu’elle écrit (aussi anodins cela puisse être) sera toujours, même en petits détails, un reflet de qui elle est et de comment elle voit le monde, un reflet du monde, et influencera de futurs écrits.
Bien entendu ces relations jouent dans les deux sens, et au sens de la Dialectique Matérialiste bien que les écrits d’une auteure découlent du monde matériel et de ses conditions, l’écrit lui-même fait partie d’un processus qui change le monde (et devient donc matériel) à travers la pratique sociale. “Le monde” et “l’auteure” ne sont pas deux entités distinctes qui peuvent être observées en vase clos ou avec des frontières confortablement définies, les deux découlent de l’autre et influencent l’autre, mais elles ne peuvent également pas être séparées. La fiction est en partie réelle et le monde réel est en partie fiction, dans des quantités variables.
Un récit porte de nombreux petits choix, puisque c’est une structure finie et finalement limitée ainsi que figée dans le temps. Il ne peut pas contenir toutes les connexions à jamais changeantes du monde matériel, donc il choisit (volontairement ou non) sur lesquelles se concentrer. De cette manière, nous façonnons notre perspective du monde, nous choisissons ce qui compte et ce que nous désirons, et on se change nous-mêmes.
Le but ici est de lire et comprendre les récits, ce qui inclut les récits qu’on raconte dans le jeu de rôle, avec cette réalité en tête. Les récits porteront toujours des choix et des partis pris, comprendre ceux-ci peut être enrichissant et améliorera notre écriture.
Réconcilier comment nous pensons aux récits avec ce qu’ils sont réellement peut nous permettre de les employer volontairement, de participer à changer notre compréhension du monde et à nous changer nous-mêmes. Si l’on sait que les récits portent des choix et des points de vue, on peut consciencieusement faire l’effort d’analyser ces points de vue : Parfois on les renforce et on joue avec leur relation au réel, parfois on trouve des éléments toxiques ou malsains et on les enlève, parfois on déterre des contradictions et on choisit de les confronter. Si l’on sait que les récits participent à notre propre changement et au changement du monde par la pratique sociale, et donc à changer la réalité matérielle, on peut consciencieusement utiliser les récits avec une certaine trajectoire en tête.
Si le premier sens regarde comment les récits sont écrits, et le second regarde qui les écrits et pourquoi, le troisième et dernier sens de Matérialisme Narratif regarde comment les récits sont racontés.
Les récits sont vivants, et ils habitent des choses matérielles. Ils sont toujours partagés, retranscrits, mal-remémorés et traduits. Les récits peuvent occuper bien plus que livres. Ils peuvent vivre dans les données numériques, dans les souvenirs et mémoires, dans les événements, dans la tradition, dans les rituels, dans les chansons et les objets.
C’est un sens plus personnel, parce que j’ai une fascination particulière pour les interfaces de récits. Un récit est-il écrit ou oral, ou les deux ? Quelle forme prend-il, comment est-il conté, quand, comment ? Est-ce qu’on le raconte durant des moments particuliers, dans le cadre de rituels ? Comment le contexte en change-t-il la couleur ? Est-ce de la connaissance secrète, est-elle sacrée, est-elle publique et réappropriée à chaque racontage ?
Tout dans le jeu de rôle porte sur des récits, et des récits dans des récits, et comment ils interagissent entre eux. Comment la même aventure est-elle jouée à des tables différentes, comment les joueurs interagissent avec et explore le monde du récit, comment l’histoire de ce monde est-elle racontée ? Est-ce qu’ils trouvent une vieille femme racontant des histoires, est-ce qu’ils déchiffrent un texte sur une dalle de pierre, est-ce qu’ils la ressentent en communion avec les esprits ou simplement par l’expérience et les conséquences ?
J’aime écrire des mondes et des récits qui eux-mêmes explorent comment les histoires sont racontées et comment elles changent, et deviennent réelles. Comment maintenir et changer nos vieux contes, comment se souvenir de notre histoire, quels récits choisissons-nous d’écrire et raconter, et à quelles fins ?
Un grand merci à mes amis et aux contributeurs à ce texte et ces pensées, particulièrement Nicola Knight, vous êtes tout autant les auteurs ici que moi.